Les Lettres et le Sud Ouest


A garennes, à cette époque, il y a des personnages, le magasinier gominé dont je vous ai déjà parlé mais aussi Jean Pierre SIGNORET le chef mécanicien, un gaillard qui trône sur son atelier près de la piscine de notre stage. Il s'occupe de tous les moteurs, bateaux , compresseurs, camionnettes et il ne faut pas lui en raconter. Il sait de quoi il parle ! Mais c'est aussi la gentillesse personnalisée et ils sont nombreux à venir partager une bière dans son antre dans l'après-midi quand il fait chaud en ce début d'été. Il y a aussi René COCHON un petit nerveux qui marche un peu courbé toujours un outils à la main et une maïs dans le coin des lèvres, c'est le responsable de l'atelier de chaudronnerie qui se trouve dans la cour face au moulin qui se dresse fièrement vers les cieux. René il en aura vu des drôles, passer dans son atelier pour travailler mais aussi lui jouer des tours pendables qui bien sur le rendaient fou furieux, et j'ai grandement participé à cela, avec le recul je me dis que parfois on était dur. Il a tout eu ce pauvre René, du savon dans sa bière, sa voiture sur cale un hiver avec la neige qui maquillait le dispositif, bien sûr il pensait patiner mais non. Qui ne lui a pas mis un petit coup de marteau à piquer dans son seau en tôle rempli d'eau dans l'atelier pour provoquer une fuite pernicieuse et une mare d'eau grandissante ?. Qui ne lui a pas planqué son paquet de gitanes ? et bien d'autres blagues potaches. Et pourtant dans cet atelier il en est sorti des merveilles de réalisation souvent imaginées par Roger ARMELA, des batardeaux métalliques, le système de forage du busc du barrage d'Irak, la plate-forme auto élévatrice pour les premiers forages des ponts parisiens, les transformations des pelles araignées MENZIMUCK, tout cela notre René et à l'époque Jean Pierre GOUJARD ils y ont participés. Parfois tout ce beau monde se retrouvait le soir après le travail au Prieuré, non pas pour prier mais pour fêter un anniversaire, une naissance ou simplement pour retrouver une équipe de scaphandrier qui rentrait d'un chantier lointain, racontant leurs aventures à ces « terrestres » prisonniers du Moulin. Ce soir-là, chez Pierrot je retrouve un autre personnage important de mon récit et de notre histoire à tous les phoques de Garennes, ce scaphandrier il s'agit de JULES, en fait ce n'est pas son véritable prénom mais son nom c'est VERHNES, donc il lui a été affublé ce prénom pour tous ceux qui auront le plaisir de croiser sa route. JULES c'est pas un personnage c'est un livre à lui tout seul. Il a marqué notre vie, notre parcours et j'aurais l'occasion de conter quelques-unes de ses aventures dans les pages suivantes, mais revenons à cette soirée. JULES que j'ai déjà eu l'occasion de croiser pendant le stage mais aussi sur le chantier de CHALONS sur SAONE, me raconte ses dernières aventures..

JULES :

« Après ton départ Cocotte (c'est mon sobriquet), on a travaillé sur le canal et on a ramassé une boite à biscuits qui flottait sur le fil de l'eau, dedans il y avait des lettres d'amour »

Moi :

Des lettres d'amour !

JULES :

« Oui écrites par une nana à un gars du coin, mais a priori ce gars est marié et celle qui les as écrites serait sa maitresse, le gars a du rompre ou en a eu marre et il a jeté la boite au canal. »

Et c'est ici qu'on retrouve toute la quintessence du personnage, le commun des mortels aurait jeté les lettres à la poubelle et basta, mais pas JULES...

JULES :

« Derrières les lettres il y avait l'adresse de la drôlesse, et comme c'était pas loin du chantier j'ai convaincu TISSOT qu'on aille lui rendre visite le soir même »

MOI :

« Sans déconné, vous avez fait quoi ? »

JULES :

« On est arrivé avec la DS face à son petit immeuble et en regardant sur les boites aux lettres on a vu qu'elle habitait au RDC, il y avait de la lumière »

MOI :

« Et puis, ? »

JULES :

« Bah TISSOT me dit « on a l'air malin on fait quoi maintenant ? » du coup je suis descendu pour aller frapper à sa porte, elle m'ouvre, mignonne, je sais pas quoi lui dire et j'improvise... »

JULES improvise si bien qu'il revient en courant vers la voiture et qu'il demande à TISSOT de démarrer et de tailler la route, TISSOT s'exécute puis tout en roulant lui demande ce qui s'est passé, et JULES de lui répondre « et bien je lui ai dit que j'étais un ami de son amant des lettres et comme je savais pas quoi lui dire je lui ai annoncé son décès, et elle est partie en pleurs dans son appartement, du coup je suis reparti ». « Mais t'es con, elle risque de faire une connerie ! il faut y retourner, il faut lui dire que c'est pas vrai ! ».

MOI :

« Purée les fous, vous avez fait demi-tour ? »

JULES :

« Oui et TISSOT est descendu lui expliquer que c'était une mauvaise plaisanterie, mais elle était déjà partie chez la femme du mec, et il est tombé sur les voisins qui lui ont dit que c'était pas très fin et qu' il ferait mieux de partir. »

Comme quoi il est préférable de brûler des lettres plutôt que de les jeter à l'eau cela peut se retrouver dans les mains de scaphandrier.

Je suis à l'atelier depuis quelques jours et Petit Pierre me prévient que je vais devoir descendre sur Toulouse ou SOGETRAM à une agence.

Petit Pierre :

«Tu vas retrouver Raymond DUHALD il a besoin d'un gars lundi pour l'aider sur une visite d'un barrage, tu verras il est un peu brusque mais c'est un bon professionnel »

Même si je suis là depuis trois mois j'ai déjà entendu parlé de DUHALD que certains surnomme «RAMUNCHO » (je ne sais d'ailleurs pas aujourd'hui d'où lui vient ce surnom), Il a une réputation de mec pas facile et capable de piquer de grosses colères, du coup j'appréhende un peu. Toulouse c'est pas la porte à côté, il va falloir que je descende en train, je passe le Week-end à préparer mes sacs de plonge, volume constant, détendeurs, palmes, néoprènes la totale. Deux sacs pleins plus mes effets personnels je vais être chargé comme un mulet, mais je ne suis pas peu fière quand je regarde ces deux sacs orange avec un casque de scaphandrier en logo sous le sigle SOGETRAM, c'est pas tout le monde qui va se promener avec ça dans le train. Le dimanche après midi on me dépose à la gare d'EVREUX et me voilà dans le train pour PARIS, je vais devoir prendre le métro et prendre un train de nuit pour TOULOUSE et retrouver Raymond qui doit me prendre à l'arrivée pour aller sur le barrage de RIVIERE à côté de GAILLAC. Mais voilà tout ne va pas se passer comme prévu, je fais l'apprentissage des déplacements, mon barda est bien trop imposant, je galère dans le métro, je ne m'en sors pas, c'est bien trop lourd, je me demande même aujourd'hui si je n'avais pas aussi les plombs dans ces sacs. Me voici arrivé à MONTPARNASSE, en retard je loupe ce foutu train, déjà la pensée de Raymond me traverse l'esprit, au guichet on m'informe qu'un train part dans 20 minutes pour BORDEAUX et que demain matin je pourrais prendre une correspondance pour TOULOUSE, bien sûr j'arriverais à midi mais pas le choix je prends le billet et je fonce vers les quais. Le train est bondé de « bidasses » je me trouve une place dans le couloir et je m'endors sur mes sacs, arrivé le lendemain matin à BORDEAUX je change de train et je repars enfin vers TOULOUSE MATABIAU. Le soleil brille, il fait même très chaud c'est ma première fois dans cette ville, elle semble vivante accueillante, je pourrais m'y plaire si je n'arrêtais pas de penser à Raymond. Bon maintenant il faut que je trouve l'agence, Rue sainte PHILOMENE pourquoi je me rappelle encore aujourd'hui du nom de la rue, c'est un des mystères de la mémoire. Je prends un bus toujours avec ces foutus sacs et j'arrive dans cette petite rue devant l'agence, la porte est close il n'y a personne. En face de l'agence il y a un petit immeuble avec un coin de pelouse, je m'écroule sur ce carré vert et je m'endors. Soudain, un grand gaillard sorti d'une Rancho blanche me tire de mon sommeil en me hurlant dessus, depuis combien de temps je dors je ne sais pas mais le réveil est brutal, il ne me laisse pas en placer une, je viens de rencontrer Raymond. Une fois la crise passée il ouvre la porte de la maison qui sert d'agence, il m'explique que la secrétaire n'est pas là aujourd'hui et que BERNIER est en déplacement, qu'il a dû plonger tout seul au barrage et que c'est pas sérieux, puis il se calme passe un coup de fil ou deux et pendant ce temps j'attends sur une chaise en regardant une maquette constituée de milliers d'allumettes, en fait il m'explique que c'est justement le plan de grilles de ce fameux barrage de RIVIERE, il est tout fier en me faisant voir qu'à un endroit on peut retirer un morceau et que c'est par ici que les scaphandriers accèdent à l'intérieur des grilles sur les pannes métalliques. Raymond retourne à son bureau et m'ordonne d'attendre.

Raymond :

« Ton chef de chantier va arriver et tu partiras avec lui, comme cela tu louperas pas ton train »

Une heure plus tard un tube HY se gare dans la rue, j'ai reconnu le bruit si spécifique, et là, un beau gosse style Sacha DISTEL, ray ban sur le front, baisenville à la main, pantalon moulant débarque dans le couloir, je viens de faire connaissance avec Jean Louis BARRAULT.

Raymond :

« Bon, allez récupérer René BALLESTER chez lui et vous partez au barrage de LABARRE à FOIX »

Suite: FOIX

L'ouvrage de LABARRE à l'entrée de FOIX dans l'Ariège est un petit barrage EDF, nous devons bâtarder une passe par l'amont afin d'isoler une turbine, hélas à cet endroit il n'y a pas de rainures pour recevoir un batardeau, notre travail consistera à en créer une fictive en métal qui sera ancrée sur le bajoyer (le mur qui consolide la berge) et ensuite installer une poutre horizontale en tête pour recevoir des aiguilles en aluminium. L'apprentissage de mon métier de scaphandrier s'accélère ici sur ce chantier avec Jean Louis, même s'il nous « chambre » parfois avec ses expressions, il se montre patient et formateur, je vais apprendre pleins de choses avec lui, je vais travailler dans le Sud-Ouest plus de 6 mois dans beaucoup d'endroits et cela restera surement parmi les meilleurs souvenirs de ma vie de scaphandrier. Mais revenons à notre chantier sur ce barrage, cela fait quelques jours que nous travaillons au fond pour nettoyer le seuil par aspiration avec une « suceuse » effet venturi, nous nous succédons René et moi au fond et nous préparons le busc qui recevra le pied des aiguilles et un jour je vais vivre une expérience très désagréable. Sans doute à cause d'un rhume, j'ai le nez très chargé et à la fin de ma plongée, quand Jean louis me demande de remonter car il va être l'heure d'aller manger, j'éprouve les pires difficultés à rejoindre la surface. Une barre sur le front au-dessus du nez me fait souffrir le martyre et plus je remonte, plus c'est douloureux, je reste coincé entre 3 et 4 mètres sous le niveau de l'eau, j'explique cela à Jean Louis aux communications, je l'entends qui bougonne furieux d'être en retard pour manger. Je finis par remonter en y passant un temps fou, mètre par mètre, et une fois en surface la douleur est toujours présente et là j'entends Jean louis me sortir une de ses expressions favorites :

Jean Louis :

« Alors petit drôle, si tu y arrives pas tu n'as qu'à faire pâtissier ! »

On se change, monte dans la camionnette pour aller dans un self au centre de Foix, on s'installe à une table avec nos plateaux, la douleur toujours présente me harcèle, je me tiens le front, je suis assis en face de Jean louis qui sirote son petit Ricard, et soudain le bouchon saute !, pas celui d'une bouteille, mais celui de mon nez et j'asperge la table de sang et de morve dans nos assiettes !

Jean Louis :

« L'enculé............... »

Jean louis se lève et part avec son Ricard, c'est la fin du repas pour lui, quand à moi c'est la fin de ma douleur, la pression d'air qui s'exerçait sur mes sinus vient de disparaître, je n'aurais plus jamais ce genre de problème dans le futur mais ce jour-là j'ai bien dégusté.

Un peu plus tard sur le chantier Didier Marty remplacera René, je retrouve mon voisin de chambré lors du stage, Didier habite à coté de Toulouse à Portet sur Garonne, lui aussi sera le partenaire de ces mois dans le Sud-Ouest on en fera des barrages ensembles, l'Aigle, le Chastang, Marèges, Neuvic d'Ussel et Bort-les-Orgues et bien d'autres encore.

Nos travaux continues on perce le bajoyer sur plus d'un mètre de profondeur, en surface et sous l'eau à l'aide d'un carottier pneumatique, une « PIXIE », ensuite en fond de trou on place un ancrage au plomb « STENOS » et on visse une barre d'ancrage, une rondelle spécifique viendra boucher le trou sur laquelle on placera un tuyau d'injection. Une fois la barre et la rondelle en place on injectera de la résine pour combler le trou et verrouiller l'ancrage, c'est un travail de précision il faut éviter d'en mettre partout et ne pas louper notre résine. Ces ancrages recevront les éléments métalliques constituant la rainure il nous restera à la boulonner avec une clé à frapper. Ce weekend c'est décidé je remonte en train en Normandie sans mes sacs cette fois, je pars le vendredi soir et bien sûr j'arrive le samedi matin. Je retrouve les grands parents, mes potes pour une virée le soir et déjà je dois repartir et je décide de prendre la 2cv verte, c'est parti ce dimanche soir pour 880 km de routes nationales. La nuit sera longue et « titine » me joue des tours la lumière des phares baisse, les balais d'alternateur sont usés les ressorts ne sont plus assez puissant pour obtenir le frottement, je bricole avec du papier de cigarettes et je fais encore plusieurs centaines de kilomètres pour enfin tomber en panne a 30 km de Foix, je termine mon périple en levant le pouce, j'arrive sur le barrage, je m'équipe et je plonge. En fin de journée je retourne avec Jean louis chercher la 2cv qui m'attend sur le bord de la route, j' ai enfin un moyen de locomotion pour me déplacer dans la région. Titine refera le voyage quinze jours plus tard dans l'autre sens et là je rentre pour acheter une moto neuve, pareil il faut refaire la route vers Foix avec ma nouvelle monture, elle sera ma compagne pendant deux ans me transportant de chantier en chantier.


Didier MARTY et Jean Louis BARRAULT Barrage de BORT les ORGUES

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